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Association française des conjoints d’agents du ministère des Affaires étrangères

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Entre opportunité professionnelle et contrainte familiale : analyses et suggestions

Isabelle Roussel Stéphan

« Les célibataires géographiques ne sont pas nouveaux. Seule l’expression l’est réellement […] Ce qui est nouveau, c’est le développement de couples qui gardent chacun leur résidence […] Nous sommes dans une société de paradoxes marquée par la montée simultanée de deux valeurs : le couple et l’individu. On oscille désormais entre ces deux idéaux. Dans le couple, on veut toujours partager […] En même temps, on veut rester autonome, préserver le plus possible sa carrière, son accomplissement personnel. […] » (Gérard Neyrand, sociologue, La croix, 3 octobre 2018).

De nombreuses citations ne sont pas référencées, les auteurs, adhérents, ont souhaité garder l’anonymat.

Le célibat géographique a cette particularité qu’il impose de vivre séparément dans deux lieux différents et de se retrouver occasionnellement ; la communauté de résidence du couple, de la famille n’existe plus puisqu’il y a deux lieux d’habitation distincts. « Il est un nouveau mode d’être à deux, et demande au couple de se réinventer […] C’est une séparation normalement temporaire, décidée mais non choisie. Il est parfois une épreuve, et toujours difficile à vivre pour le couple et la famille. » (Marine de Labriolle)

La difficulté est différente selon le type de célibat.
Le célibat est dit « imposé » quand la situation géopolitique du pays est telle que le ministère impose que l’agent parte seul (Irak, Afghanistan). On se fait assez facilement une raison quand le célibat est imposé, on sait que cela durera le temps de la mission ; des séjours en France sont régulièrement prévus par le Département. Mais les risques liés au pays augmentent l’inquiétude et la notion du temps.

Le célibat est dit « de compromis » quand le conjoint est contraint de faire un choix : impossibilité de lâcher un travail, études des enfants, problème de santé, parents dépendants… les raisons de rester en France sont nombreuses et appartiennent à chacun. Le compromis peut être de courte durée ou le temps de la mission.
Il y a aussi ce qui peut être appelé le célibat de proximité. En Europe, de surcroît dans les pays limitrophes à la France, il y a beaucoup d’agents qui partent seuls. La proximité aide aux fréquents allers et retours. Le conjoint qui travaille garde son emploi, les enfants ne changent pas de maison, d’école, de copains... Si ce célibat de proximité permet de satisfaire travail et famille, les aléas sont finalement très semblables à ceux dont la distance empêche de se voir aussi souvent.

Vivre séparément n’est pas anodin, sans conséquences ; la décision doit être mûrement réfléchie, à deux d’abord,et possiblement avec les enfants selon leur âge. Il faut essayer essayer de tout mettre sur la table : les inquiétudes, les interrogations, les conséquences réelles et possibles, la distance, le prix des billets, l’éloignement de l’aéroport, la gestion du quotidien avec les enfants pour celui qui reste, la solitude dans les deux camps… Avant de vous lancer dans l’aventure du célibat géographique, assurez-vous que vous êtes armés pour le vivre au mieux, et que votre couple se sent capable de surmonter cette situation.

Des vies parallèles
Dès que la décision du célibat géographique est prise, le postulat « on se fait confiance mutuellement » constitue un socle à cette nouvelle vie. Même si cela vous parait évident, prenez le temps de vous le dire, mutuellement.

A vivre chacun chez soi, deux modes de vie s’installent, chacun prend ses habitudes, loin de l’autre. « Il n’y a pas de séparation puisque le couple persiste » (MdL) et pourtant, vous vivez à des rythmes différents, avez chacun vos relations, les souvenirs partagés sont entre parenthèses. Un fossé se creuse. « Il y a parfois une certaine satisfaction à gérer librement son emploi du temps, qu’il s’agisse de travailler tardivement les jours de semaine ou de décider à l’impromptu d’une activité le week-end, sans tenir compte de ce qu’a prévu la famille ». Mais, « que reste-t-il des actes, des gestes et des échanges du quotidien ? Comment se vit l’intimité ? Que devient chacun dans sa solitude, sans son identification à l’autre et au couple ? » (MdL). Pour faire face au décalage de vos modes de vie, la mise en place de rituels vous aidera à maintenir votre complicité, à reproduire des habitudes, à en inventer d’autres.

Celui qui part ne partage plus le quotidien ne vit plus « ces petits je ne sais quoi » qui rythment une vie, il est de fait exclu de la vie familiale, de cette routine si souvent moquée mais qui vient alors à manquer. « Au quotidien, notre réalité personnelle prime sur celle du couple et sur celle de notre conjoint. Il est difficile d’imaginer, de comprendre et sentir les difficultés de l’autre. Peut-être même s’en défend-on ? Les nôtres sont suffisantes » (MdL).

Vivre avec la solitude
Le poids de la solitude peut ébranler la famille, le couple : ne laissez pas la morosité vous envahir, partagez ce que vous ressentez, avec votre conjoint d’abord, avec une tierce personne si besoin. « La solitude pèse souvent. Les dîners ne sont pas très gais. Le fait de ne pas pouvoir solliciter son conjoint, partager une idée, échanger sur des choses anodines ou non, est assez frustrant. Certes, c’est bien d’avoir toute la place pour dormir mais souvent le lit semble trop grand ! ».

Vous vous sentez seul(e) et en plus, vous êtes seul(e) aux commandes. Vous devez tout faire et tout gérer en solo : votre travail, le quotidien du foyer, les enfants qui se chamaillent, les ados qui deviennent insolents, les familles (la vôtre et celle de votre conjoint). Le tout en tenant compte de votre conjoint, absent. Et c’est seul que vous devez vivre avec la peur qu’il arrive quelque chose à votre conjoint parti dans un pays dit « à risques » ; cette peur, vous ne pouvez pas la partager avec vos enfants, avec votre famille au risque de l’inquiéter encore plus, avec des amis qui penseront « qu’après tout, vous l’avez bien voulu ». Une adhérente s’est fixé « d’emblée une règle : essayer de ne jamais trop penser aux risques que mon époux encourait dans l’exercice de ses fonctions ».

Se parler, s’écouter
« Vivre ensemble et être ensemble sont deux réalités différentes. Lorsque l’on ne vit pas ensemble, la distance étire le lien. On apprend à ne plus se manquer [..] Pour « être ensemble », il faut nourrir le lien par de l’échange » (MdL). Les moyens de communication sont aujourd’hui un allié de poids dans la vie des couples et des familles séparés géographiquement : on peut se parler à moindres frais, se voir même. Mais vous êtes toutefois nombreux à dire qu’il est dur de se retrouver face à un écran noir après avoir raccroché et d’être là, sans l’autre.

Prenez le temps de vous parler quotidiennement, « même pour se dire des futilités, il est important de se parler chaque jour, ne serait-ce que quelques minutes ». Partagez ce que vous ressentez, parlez sans tabou, sans chercher à taire certaines choses dans un souci de protection de l’autre ; « quel expatrié n’a pas entendu cette parole de la part de sa famille : « Tu étais loin, on ne t’a rien dit pour ne pas t’inquiéter ! ». En réalité, ce souci de protéger la personne éloignée crée un sentiment d’exclusion et d’impuissance » (MdL). La séparation ne change pas le statut de l’expatrié : il est mari/femme, père/mère...

Parlez et soyez à l’écoute pour éviter les quiproquos (« Mais je ne savais pas », « Mais si, je te l’avais dit ») et les petites phrases assassines (« Ta carrière l’emporte sur ton foyer », « Si tu m’avais suivi, on n’en serait pas là ») pleines d’amertume et de reproches. Il s’agit bien de communiquer et pas seulement de s’exprimer.

Ecoutez votre conjoint, évitez de le rendre responsable de tout ce qui ne va pas au prétexte qu’il s’est expatrié : c’est lui qui est parti, certes, il n’en demeure pas moins qu’il peut se sentir seul et malheureux. Ne soyez pas impatient quand il vous parle de personnes, de lieux que vous ne connaissez pas, intéressez-vous et posez des questions, il convient d’avoir autre chose à partager que les ennuis. Ne l’accusez pas de tous les maux dont vous souffrez et prenez garde au « Tu qui tue », pour reprendre l’expression de Jacques Salomé*. Plus que jamais, loin de l’autre, faites usage du « Je » pour donner un message personnalisé plutôt que d’utiliser la « relation klaxon » (Jacques salomé) où l’usage du « tu, tu, tu » permet de parler sur l’autre au lieu de parler à l’autre (« Tu n’aurais pas dû partir, tu ne sais pas ce que c’est que d’être seule » vs « Je trouve difficile que tu sois partie, cela me pèse plus que je ne pouvais le penser »). L’usage du « Je » pour dire ce que vous ressentez évitera aux ressentiments de s’inviter dans votre vie de couple. Si tel est le cas, « il est urgent de partir ensemble loin de la France et loin du poste, dans un lieu sans enjeu, dans le seul but de se retrouver et de nourrir la relation non plus de reproches, mais d’amour » (MdL).

Vous pouvez avoir des attentions discrètes et sans motif particulier : la surprise adoucira l’absence et créera un lien chargé d’émotion. Vous pouvez aussi faire comme cet agent expatrié : « Ma maison est aménagée avec attention, fleurie, agréable. Je fais comme si mon épouse pouvait arriver à l’impromptu : elle doit s’y sentir bien. En un mot, pas question de vivre comme un vieux garçon ! » (agent adhérent).

L’éloignement peut être l’occasion de prendre le temps de s’écrire. A vous de choisir à quel rythme mais ce peut être quotidiennement. Et qu’importe si vous venez de vous parler au téléphone, vous ne vous direz pas les mêmes choses par écrit. Ce temps d’écriture peut être un vrai temps d’intimité, il vous procurera du plaisir quand, le matin ou le soir, vous lirez ce qui a été écrit pour vous (c’est valable à l’inverse). Et n’oubliez pas, « verba volant, scripta manent : les paroles s’envolent, les écrits restent ». Faites-vous un carnet de vos échanges : vous prendrez plaisir, comme avec un album photo, à vous y replonger.
Vous pouvez décider de vous envoyer régulièrement des photos (ce peut être un rituel), ce sera une occasion de partager des moments de vie, de ne pas rester figé sur une date, celle de la séparation

Les retrouvailles
Si vous pouvez rythmer la séparation par des retrouvailles régulières, le temps paraîtra moins long et limitera le décalage de vos vies. Allez sur place si le pays le permet, seul, pour des retrouvailles de couple, et en famille pour avoir des souvenirs communs dans le pays où vit le papa, la maman. Les retrouvailles en France peuvent être insatisfaites : l’expatrié n’a plus tout à fait sa place, la vie s’est organisée sans lui et sa venue perturbe la nouvelle routine. Et bien du monde l’attend : la famille, les amis ont envie de voir votre conjoint et les invitations tombent. De dîners en apéritifs, le temps de repartir est déjà là et la frustration aussi : il y a eu si peu de temps privés !

Comment faire ? Lui accorder une place, sa place, et l’accueillir dans votre nouveau schéma de vie. En vous octroyant du temps, en couple et avec les enfants, ce qui suppose de répondre « non » à certaines invitations (ce sera pour la prochaine fois), de vous accorder des « sas » de respiration : boire un café en terrasse, prendre le temps de marcher plutôt que de tout faire en voiture, de boire un verre tranquillement avant le repas…

Retour à la vie commune
Le retour à la vie en couple, en famille, vous en rêviez, vous avez mis la maison sur son 31 et vous aussi. Mais ce retour à la vie commune est un peu cahin-caha, les liens sont un peu distendus, chacun doit se réhabituer à l’autre, à la vie en famille. Il n’est pas si facile à celui qui revient de reprendre sa place, mais il n’est pas facile non plus de lui laisser reprendre sa place restée vide.

Votre conjoint réalise que les enfants ont sacrément grandi et voit d’un mauvais œil qu’ils dorment souvent chez des copains le week-end ? S’il s’en étonne, les enfants n’hésitent pas à lui rappeler que s’il avait été là, il le saurait ! La tension s’accroît, le ton monte, vous êtes partagé entre votre conjoint et les enfants… Tout cela a été dit au téléphone, mais le vivre, ce n’est pas pareil… Tout à coup, c’est comme si chacun devait réapprendre à connaître l’autre. Il faut s’apprivoiser de nouveau.

Évitez de critiquer, de faire des remarques désobligeantes sur ces années de célibat géographique, s’il y a des rancœurs, des points qui ont besoin d’être discutés, alors, parlez.
« Il n’est pas souhaitable de s’installer durablement dans ce rythme un peu dingue qui ne souffre pas le moindre grain de sable dans l’organisation ».

Le célibat géographique, combien de temps ?
La réponse vous appartient, mais les témoignages tendent à prouver qu’il ne faut pas que cette situation dure, qu’il est nécessaire de définir la durée de la séparation (le temps d’un poste, la fin de l’année scolaire). Connaître la date du retour est un des facteurs qui permet à cette situation d’être vécue au mieux. « Cette situation est viable mais non enviable, c’est un compromis d’adultes. Il n’est pas souhaitable de s’installer durablement dans ce rythme un peu dingue qui ne souffre pas le moindre grain de sable dans l’organisation » .
Court ou long, « il faut être clair dans sa tête et solidement arrimé à son couple. Le célibat géographique, ce n’est pas le célibat tout court, avec le potentiel de rencontres qui s’y rattache. Il faut qu’il n‘y ait aucune ambiguïté sur le fait que l’on est déjà engagé et donc indisponible. Dans le cas contraire, il y a péril en la demeure ».

Le célibat géographique peut être l’occasion de confirmer la solidité des liens qui vous unissent, de faire un point positif sur le « Nous » composé par le couple tout en préservant le « Je » de chacun. Ce peut être aussi un défi vécu collectivement avec les enfants : le modèle est bousculé, c’est l’occasion d’en bâtir un autre ensemble adapté à la situation.

Isabelle Roussel Stéphan

* Jacques Salomé, psychosociologue, « Heureux qui communique », Albin Michel, 1993, 2003.

mercredi 7 avril 2021

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