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De la crinoline au tailleur Chanel
Francine Boidevaix
Balade virtuelle avec la conférencière Anne Amiot-Defontaine.
Commençons en 1857. Frédéric Worth invente la haute-couture pour l’impératrice Eugénie. Il se présente comme un artiste et non comme un simple fournisseur. Il va imposer ses choix et sa vision de la femme, organiser la présentation de ses collections deux fois par an et engage des mannequins. Des « sosies », comme ils les dénomment, car elles doivent ressembler à ses clientes. C’est l’époque des crinolines dont l’ampleur va de pair avec le niveau social. Glissons-nous dessous. Pas très confortable, une immense cage ronde donne de l’ampleur au corps, rétrécit la taille. Lorsque la crinoline se transforme en tournure, on invente une cage rétractable du côté du postérieur afin que l’élégante puisse s’asseoir. Autour de 1900, le pire moment de la mode, la ligne S triomphe, les seins sont projetés à l’avant, les fesses vers l’arrière. Le corps est déformé. Une pionnière, Isadora Duncan, jette ces appareillages aux orties et danse nue sous ses vêtements. C’est bien la seule.
Libérer le corps féminin
Trois couturiers vont entreprendre, avant 1914, de libérer la femme. Paul Poiret déclare la guerre au corset en 1907, le remplace par des baleines intégrées aux vêtements. Il revient à la ligne droite inspirée des robes de l’empire avec la taille sous la poitrine. Mais, n’allons pas trop vite : les femmes sont entravées par des jupes serrées à la hauteur des chevilles.
Les couturiers de sexe féminin feront mieux. Selon Anne Amiot-Defontaine, Madeleine Vionnet est la première grande libératrice, grâce à l’usage de la coupe en biais qui permet de conserver la souplesse d’un tissu souvent uni. Jean-Paul Gauthier s’en inspirera.
Elle crée sa maison en 1912, reprend la ligne droite, révèle les formes naturelles. La ligne d’abord. Chanel va encore plus loin. Son mantra, c’est la simplicité dans le luxe. « Elle ôte non seulement le corset, mais aussi le corset mental » nous dit notre conférencière.
Elle participe à l’émancipation de la femme dès 1910. Dans ses boutiques de Deauville et de Biarritz, fondées en 1913, elle crée des vêtements pour des corps qui seront attirants sans être dévoilés. Fini le règne de la poitrine protubérante et des fesses archi-rebondies. La femme est désormais active, sportive, mince et bronzée.
Elle emprunte à la tenue de tennis la jupe plissée et au vestiaire masculin le pantalon et même des tissus comme le tweed. Le jersey, jusque là employé pour les caleçons, est utilisé pour sa fluidité. N’oublions pas les accessoires : chapeaux cloche tout simples, sans plumes, sans fleurs, ou feutres virils, longs colliers.
Les souliers sont bicolores (le bout est plus foncé pour éviter d’avoir l’air sale). La jupe remonte au genou à partir de 1927-1928. Les jambes, gainées de bas couleur chair, deviennent la partie la plus érotique du corps.
La garçonne
A partir des années 20, les coiffeurs se sont lancés dans la bataille, ils coupent, ils coupent. 35.000 salons ouvrent en France. Les « garçonnes » prennent le pouvoir. Chanel lance la robe chemise fluide et légère, des franges peuvent l’animer. C’est l’époque du mouvement, de la rapidité, de la modernité. A partir de 1926-1927, Chanel crée la « petite robe noire ». Un magazine américain écrit qu’elle est la Ford de la couture. Tout le monde peut la porter, jour et nuit, elle est chic pour toutes les activités. C’est une révolution. A la même époque, le soutien-gorge remplace les bandeaux qui aplatissaient les seins. Après la crise de 1929, c’est le retour au mi-long. La ligne est proche du corps. La gaine cache les bourrelets superflus.
Retour à l’opulence avec Christian Dior
Au sortir de la guerre de 1940, les femmes ont envie de beauté et d’opulence. Piguet puis Lucien Lelong ouvrent la voie. Christian Dior prend les commandes en 1947, financé par les tissus Boussac. On entre dans l’industrie de la mode. C’est le « new look ». La femme se transforme le soir en fleur avec la ligne « corolle », un peu rétro, la taille est très serrée, la jupe ample. La poitrine est haute, le buste est mis en valeur.
C’est le grand retour des sous-vêtements baleinés, des gaines et des guêpières. Les étoffes sont somptueuses, les couleurs vives. Les ateliers produisent 1500 pièces par an dont chacune nécessite de 100 à 150 heures de travail. Dior remet à la mode l’idée de garde-robe qui invite la femme à changer jusqu’à 6 fois par jour de tenue ! Il relance ainsi l’industrie du luxe. Certaines robes du soir pèsent 30 kgs. Côté tailleurs, Christian Dior invente toujours. Le vêtement très structuré dessine le corps. Au début, les jupes, amples malgré les restrictions, rallongent. Elles sont à 30cm du sol, un peu moins, un peu plus selon les saisons. Les petites couturières suivent les variations pour des clientes disciplinées. Les lignes s’inspirent des lettres de l’alphabet. Christian Dior passe de Y à V, de A à H. La ligne Haricot, en 1954, propose des tailleurs droits, le buste s’amenuise, la taille est peu marquée.
En réaction Balenciaga, l’architecte de la haute couture, favorise les épaules carrées, la silhouette tube qui annonce les années 60. Chanel dira de lui : « c’est le seul couturier, les autres sont des dessinateurs. »
Vive le tailleur Chanel
D’ailleurs, revoici Coco Chanel en 1954, toujours la prêtresse d’un corps aux formes naturelles. Elle réinvente son fameux tailleur. C’est l’exact contraire des vêtements Dior. La veste, inspirée du chandail, est extrêmement raffinée. Elle est matelassée, doublée de soie, gansée. Les épaules tombantes, les manches arrondies, les lainages légers permettent la liberté des mouvements. La jupe posée sur les petites hanches est confortable en cas de ballonnements ! Le chemisier est coloré du même ton que la doublure. Le tailleur Chanel devient un triomphe planétaire. Il fait toujours partie des collections de la maison. Même les jeunes s’habillent Chanel : une veste portée sur un jean.
Propos recueillis par Francine Boidevaix
dimanche 15 janvier 2023