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Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger *
Patrick Roussel et Isabelle Stéphan Roussel
Les expressions autour de la nourriture sont nombreuses, en voici quelques-unes. Certaines se cachent dans le poème et dans le dialogue quand d’autres se dévoilent historiquement. Bon appétit !
Le poète, seul
Au réveil aujourd’hui, j’avais une faim de loup,
Au fond de l’estomac, un petit creux tout doux,
C’est en mangeant que vient l’appétit du matin,
Manger comme un cochon, comme un ogre ou un saint,
Comme un chancre insatiable, comme un loup mange un pain…
Si vous n’avez pas faim, sachez que l’appétit
Vient en mangeant ou bien, en se tapant la cloche.
C’est pas la mer à boire, après tout, qui dort dîne !
Mais qui donc veut manger les pissenlits par la racine ?
Le poète interpelé
Hé, toi, le poète, tu me parais un peu pressé : tu veux nous faire manger avec un lance-pierre ?
Pas du tout, cher ami, je propose tout simplement à chacun de manger à sa faim et, pour les affamés, de manger comme quatre, mais pour le prix d’un seul !
Tope-là ! Je suis d’accord et comment fait-on ? On mangera à notre faim ?
Bien sûr, je ne vous propose pas de manger sur le pouce, ni de manger d’un coup tout votre pain blanc. Je connais une auberge où l’on vous traite comme un coq en pâte : on y trouve à boire et à manger, c’est selon l’humeur du patron, mais que voulez-vous, c’est un homme qui a quelques faiblesses quand il lui arrive d’avoir un verre dans le nez. Je l’ai vu une fois, au retour de la chasse, mordre à belles dents dans un morceau de gigot laissé dans une desserte, gardé comme une poire pour la soif en quelque sorte. En tout cas, ce n’est pas à lui, dans son auberge, que vous pourrez dire qu’il a les yeux plus gros que le ventre : il suffit d’ailleurs de voir sa silhouette…
Moins poétique, un lexique
Se taper la cloche : faire un bon repas. Expression du XIXe : l’argot de ‘‘cloche’’ était ‘‘tête’’. ‘’Se taper la tête’’ signifiait bien manger et surtout boire jusqu’à l’enivrement. Quant au verbe « taper » de l’époque, il prenait le sens de beaucoup boire.
Qui dort dîne : on oublie la faim en dormant. L’expression remonte au Moyen Age : “Qui dort dîne” était écrit sur un écriteau installé par les aubergistes à l’intention de leur clientèle. Pas question de dormir sans manger ! Aujourd’hui, elle signifie que si on dort, on ne sent pas la faim.
Manger son pain blanc : traverser une période faste. A la Renaissance, le pain est un aliment très populaire. Les paysans mangeaient du pain noir quand les nobles, eux, mangeaient du pain blanc. Par analogie, on dit d’une personne qui traverse une période prospère qu’elle "mange son pain blanc".
Ce n’est pas la mer à boire : ce n’est pas si compliqué, c’est faisable. Cette expression a été utilisée à partir du XVIIe siècle sans la forme négative : "la mer à boire", une difficulté insurmontable.
Manger les pissenlits par la racine : être mort. Expression du XIXe qui fait allusion aux plantes, dont les pissenlits, qui poussent vite sur une terre fraîchement retournée, ce qui est le cas des tombes. On les assimile donc à la nourriture des morts.
Comme un coq en pâte : être entouré, choyé. Expression du XVIIe qui renvoie aux plus beaux coqs des fermes très bien traités pour être présentés à des concours agricoles. Certains étaient recouverts d’une pâte qui rendait leurs plumes plus brillantes.
Avoir un verre dans le nez : être ivre. Un verre en trop et le nez devient rouge !
Mordre à belles dents : manger avec appétit, avec férocité. Cette expression est née de la peur qu’inspiraient jadis les dents des carnivores.
Garder une poire pour la soif : être prévoyant et économe. L’expression est apparue au XVIe siècle. La poire est un fruit plein d’eau : qui a soif et n’a pas d’eau peut satisfaire sa soif en mangeant une poire.
Avoir les yeux plus gros que le ventre : se surestimer. Au XVIIe, on disait : "avoir les yeux plus grands que la panse’’.
Avoir l’eau à la bouche : attiser l’envie, faire saliver. L’expression est utilisée depuis le XVe sous différentes formes (mettre l’eau à la bouche, se lécher les babines).
Casser la croûte : se restaurer, manger. Expression du XIXe. La "croûte" fait allusion au pain, longtemps aliment de base et de partage pour l’homme.
Mettre du beurre dans les épinards : améliorer substantiellement. Le beurre symbolise le doux là où les épinards ont une connotation triste et fade.
Bon comme le petit Jésus en culotte de velours : quand un plat ou un vin est bon, doux comme du velours. On lit en 1866 dans Vins à la mode et cabarets au XVIIe siècle d’Albert de La Fizelière : « Il y a dans la Moselle les vignobles de Scy et d’Augny renommés pour un petit vin fort agréable. Un vieux dicton du pays assure qu’en buvant ce vin délicieux, il semble qu’on avale la culotte de velours du bon Dieu. »
On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre : on ne peut pas tout avoir, il faut faire des choix. A l’origine, l’expression fait appel au bon sens du paysan qui fabrique le beurre, le livre et le vend. Argent contre travail.
Bon appétit !
Patrick Roussel et Isabelle Stéphan Roussel
* Sentence émise par Socrate et reprise par Molière dans L’Avare (acte III, scène 5).
Avoir les yeux plus gros que le ventre
mercredi 27 septembre 2023